Confinement VS classe inversée

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Depuis le début du confinement, ce blog enregistre des records de connexions, et pas un jour ne passe sans que je ne reçoive un mail de remerciement d’un ou une collègue qui trouve dans mes capsules de quoi assurer sa continuité pédagogique, ou de parents qui ont l’impression que les cours vont ainsi continuer et que leur enfant ne prendra pas de retard sur le sacro-saint programme. D’aucuns seront persuadés que je m’en réjouis. Les détracteurs de la classe inversée attendent au tournant ce grand moment où nous allons prouver que l’enseignement à distance, ça fonctionne (ou pas), et certains inverseurs s’en frottent aussi sûrement les mains. Mais non, je ne me réjouis pas du tout, et je trouve même cela tellement préoccupant qu’il m’a semblé indispensable d’écrire ce billet.

En effet, paradoxalement, depuis que le confinement a été décrété, j’ai cessé de proposer des capsules à mes élèves.
La classe inversée sans classe, ça n’a aucun sens. La classe inversée est tout sauf de l’enseignement à distance selon moi. Et l’enseignement à distance pour des élèves de primaire dans les conditions actuelles, ça ne fonctionne pas. L’enseignement est un métier qui ne peut avoir lieu loin des élèves. La classe inversée (puis, surtout, renversée, voir cet article précédent), est pour moi une manière d’optimiser mon temps de présence en classe, de le rendre plus efficace. Pas de temps de classe, donc pas de classe inversée. J’ai, au départ, mis en place ce dispositif pour des raisons bien précises : rassurer certains élèves avant la séquence, permettre à ceux qui ont déjà compris de se confronter tout de suite à des tâches plus complexes, et à ceux qui découvrent de prendre le temps de le faire correctement. Ce fut un outil de différenciation organisationnelle, une photographie des connaissances de chacun à un instant T. Il n’a jamais été question de remplacer une séquence pédagogique par une capsule de 3 minutes, encore moins de la substituer à l’enseignant. 

Or, si certains collègues utilisent mes capsules (ou d’autres) pour rafraîchir la mémoire de leurs élèves sur des notions déjà travaillées en classe qu’ils souhaitent leur faire réviser, d’autres les utilisent pour continuer d’avancer dans le programme, au nom de la fameuse continuité pédagogique dont on nous rebat les oreilles depuis trois semaines. Mais de continuité pédagogique, il n’y a point. Ni continuité, car que peut-on poursuivre dans ce climat délétère, dans des familles aux conditions de vie si différentes ? Ni pédagogique, car on ne fait pas des parents des pédagogues en quelques jours, fussent-ils très instruits, francophones, complètement disponibles et de bonne volonté. On ne s’improvise pas pédagogue et la didactique ne réside pas dans des capsules. De nombreux collègues, soucieux de bien faire, s’emparent des outils à leur disposition, en découvrent d’autres, et il est sûrement tentant de se lancer dans la classe inversée, car le moment est propice à mettre en oeuvre la représentation que l’on en a lorsqu’on ne s’y est pas essayé : le cours à la maison, les exercices en classe… (Ah zut, les exercices à la maison aussi.)

Je ne suis pas responsable de l’usage qui sera fait du travail que je mets à disposition, mais il me semble que le moment est particulièrement mal choisi pour se lancer dans ce qui n’est pas de la classe inversée. Où sont les interactions entre élèves ? Où est la métacognition ? Où sont la pédagogie et la didactique ? Qui peut croire que quelques minutes de capsule vont permettre aux élèves de découvrir une nouvelle notion, de passer de l’écriture fractionnaire à l’écriture à virgule, ou de comprendre la fonction d’attribut du sujet ?

J’utilise toujours le support vidéo, mais autrement :

  • Pour des corrections individualisées : j’entoure, je souligne, je déplace tout en expliquant, j’envoie la vidéo et l’élève voit et entend mes explications.
  • Pour résumer ce qui s’est dit lors des classes virtuelles, pour les élèves qui n’ont pas pu y participer.
  • Pour rappeler certaines notions lorsque l’élève a oublié et se trompe dans les exercices de révisions (mais les corrections filmées sont apparemment plus efficaces).

Mais soyons réalistes : si la plupart de mes élèves disposent de bonnes conditions pour continuer à s’entraîner sur des notions déjà travaillées, ils n’ont pas, sans enseignant, la possibilité d’entrer dans des apprentissages nouveaux. Si continuité il doit y avoir, c’est celle d’un lien avec l’école, avec l’enseignant(e). Car si X dispose d’une grande maison calme avec des parents disponibles pour l’aider, Y partage 40 m2 avec 4 autres personnes dont 2 petits qu’il doit surveiller lorsque sa mère va faire les courses, et qui crient la plupart du temps parce qu’il n’en peuvent plus d’être enfermés. 

Les enseignants aussi sont à bout. On leur demande une continuité pédagogique qui n’a pas de sens, mais ils mettent un point d’honneur à essayer quand même (et j’en suis), avec des moyens inefficaces ou non fonctionnels, en essayant tout ce qui pourrait quand même permettre aux élèves d’apprendre, pour ne pas les abandonner, perdre le lien et aussi, soyons honnêtes, pour ne pas être accusés d’être des fainéants qui ne travaillent plus. 

Il faut raison garder. Maintenir le lien avec les élèves est primordial, et ça ne passe pas forcément par des cours ou des exercices. À l’impossible nul(le) n’est tenu, ni enseignant(e)s, ni parents, ni élèves. Apprendre avec des capsules est impossible. Relâchons donc la pression qui fut infligée à tous dans l’urgence et revenons à l’essentiel : préserver sa santé (physique et mentale), prendre le temps, rassurer, partager. Et je vais tâcher de m’appliquer ce bon conseil à moi-même.

6 Responses

  1. Lana

    Je suis tout à fait d accord et pour vous dire la vérité j avais besoin d entendre dire cela d un collègue pour me déculpabiliser….parce que justement je m epuise mais j ai l impression que c est jamais suffisant et….parfois je trouve – comme le dit mo mari- tout ce que je fais est INUTILE. BREF LA SITUATION EST INFERNALE a tous les niveaux malheureusement. Merci!

  2. Dominique fels

    Bonjour,
    Tout d’abord bravo pour votre formidable travail !
    Je partage totalement votre analyse de la situation à laquelle nous sommes tous confrontés. Cette étrange épreuve que nous affrontons toutes et tous de notre mieux, affecte autant les enfants que leurs parents et bien sûr les enseignants…
    je suis comme mes collègues obligée d’inventer une nouvelle façon de faire la classe et nous en voyons évidemment les limites.
    Dans mon entreprise de continuité pédagogique, je suis bien contente de faire parfois appel à vos capsules que je trouve extrêmement bien faites et qui correspondent à mon style d’enseignement. Elles viennent en appui aux leçons , explicitations, et travaux que je donne à mes élèves.
    Encore merci à vous .
    Bon courage et prenez bien soin de vous .
    D.Fels maîtresse de cm1/cm2

  3. Elodie Leray

    Bonsoir,
    Je suis tout à fait d’accord. Je les utilise depuis un moment déjà mais en ce moment , surtout pour les révisions. Je viens de commencer les classes virtuelles et elles me permettront là encore de point d’appui après de nouvelles leçons.
    Mais…j’ai hate de revenir en classe car ça peut être la galère.
    Bon courage.
    Elodie

  4. frederic moal

    Boniour
    Je suis tout à fait d’accord avec votre analyse
    je suis parent d’éleve au Maroc .je n’ai pas eu besoin du confinement pour savoir que je n’avais pas le talent pédagogique de l’enseignante de ma fille.
    je pense qu’on ne pourra pas leur apprendre beaucoup mais cela permet de maintenir un travail quotidien
    Merci a vous
    Frédéric

  5. Ella

    Merci pour cet « édito » qui remet les pendules à l’heure…
    Souhaitons-nous du courage…

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