La classe inversée, une belle arnaque !
Ah ! Que n’a-t-on entendu au sujet de la classe inversée ! Solution miracle pour les uns, fin programmée des enseignants pour les autres… Sans tomber dans aucun de ces deux clichés ni déclencher de stériles polémiques, je vais modestement tenter, par ce petit billet, de vous faire partager mon expérience…
Venue d’Outre-Atlantique, la classe inversée partait au départ d’un postulat simple et logique : les élèves écoutent en classe un cours et effectuent des exercices à la maison. Il ont donc à leur disposition un professeur qui dispense un cours (pour lequel sa présence effective n’est, finalement, pas indispensable) et se trouvent privés de l’aide et de l’expertise pédagogique du professeur lorsqu’ils en ont le plus besoin, c’est-à-dire lorsqu’ils effectuent des exercices. Si l’on inverse ce fonctionnement, l’élève peut écouter seul chez lui un cours, et bénéficier en classe de l’aide de son professeur pour comprendre et approfondir ce fameux cours.
C’est en tout cas ce que j’ai cru lorsque j’ai découvert ce principe : “chouette ! Du temps gagné sur le temps de classe pour aider davantage les élèves”. Mais j’ai découvert, au cours de ces trois années, que la classe inversée (j’écrirai désormais CI pour une simple question de paresse scripturale totalement assumée), ce n’est pas ça ! C’est bien autre chose ! C’est une arnaque ! On voit un arbre alors que derrière se cache toute une forêt. On met innocemment le doigt dans un engrenage pédagogique qui nous conduit à analyser, questionner, modifier toute notre conception pédagogique et ensuite notre pratique. Parce que ce temps en plus tombé de la capsule nous offre ce que la tyrannie des programmes ne nous avait jamais permis : le temps d’observer la classe et de voir tout ce qui y fonctionne, mais surtout tout ce qui ne fonctionne pas, ou pas bien, ou pas aussi bien qu’on l’aurait cru ou souhaité.
Tous les collègues inverseurs sont d’accord sur ce point : si nous avons chacun notre propre manière de pratiquer la classe inversée, cette technique a modifié pour nous tous bien plus que notre pratique : notre conception même de la pédagogie, de la place de l’élève et de l’enseignant, de ce que c’est qu’enseigner, et du rôle de chacun.
Car ce n’est pas parce qu’on enseigne qu’il apprennent, et ce n’est pas parce qu’on explique qu’ils comprennent. L’apprentissage ne se décrète pas (Meirieu). Il se fait ou ne se fait pas. Il ne découle pas de la seule volonté de l’enseignant ou de l’élève. Combien de fois ai-je dit “Mais je viens de te l’expliquer !” Absolument ! Mais qui, aujourd’hui, songerait à pousser ses élèves dans le grand bassin juste après avoir mimé les mouvements de base de la brasse coulée, en criant “Mais je viens de te l’expliquer !” ?
Et justement… Si enseigner, c’était laisser les élèves apprendre ? Si c’était à moi d’apprendre ? D’apprendre à connaître, identifier leurs processus d’apprentissage pour m’y adapter et leur proposer les situations les plus adaptées pour que cet apprentissage se fasse ? Si je ne me plaçais plus entre l’élève et le savoir, mais derrière l’élève vers le savoir ? Si je ne me campais plus dans ce rôle de toute-puissance de détenteur unique du savoir dont les élèves se méfient car ils savent que c’est un leurre et ne peuvent donc m’accorder totalement leur confiance ? Si je changeais de posture pour passer du face à face au côte à côte ? Si je rendais à l’élève la responsabilité de ses apprentissages, si je lui faisais suffisamment confiance pour le laisser gérer seul les tâches simples et ne me consacrais qu’à l’accompagnement des tâches complexes ? Si je lui permettais de devenir responsable de lui-même ? Si je cessais de le déposséder de ce que je suis censée lui donner : ses apprentissages.
Si j’entrais en classe inversée ?
Concrètement, dans ma classe, les élèves disposent des vidéos de tous les cours de mathématiques et français. Ils les regardent à la maison et prennent des notes, souvent sous forme de carte mentale. Puis ils répondent à un questionnaire en ligne. Ce questionnaire est destiné à me renseigner sur les points suivants :
– Qui a regardé la capsule ?
– Quels sont les types d’erreurs commises ? (il est évident que les élèves en feront, puisque c’est une phase nécessaire de l’apprentissage) Je peux ainsi préparer les ateliers en classe en fonction de ces erreurs.
– Quels sont les élèves qui ont acquis de solides compétences les années précédentes et ceux qui ont besoin de les réactiver pour comprendre la suite ?
Le lendemain, en classe, les élèves consultent le plan de travail sur le tableau au fond de la classe (un côté du tableau pour chaque matière).
Les groupes vont ensuite tourner toutes les 20 minutes dans les différents ateliers :
- visionner la capsule : Les élèves qui n’ont pu regarder la capsule à la maison le font en classe. Ils prennent des notes sur ce qu’il faut retenir ou sur ce qu’ils n’ont pas compris.
- interactions au TNI avec moi ou en groupe autonome : Dans cet atelier, les élèves mettent en commun leurs notes pour créer une carte mentale qui servira de leçon pour toute la classe. Ils utilisent ensuite ce qu’ils ont retenu pour résoudre une situation-problème (préparée en fonction des types d’erreurs commises). Ils discutent entre eux, argumentent, construisent peu à peu leurs savoirs et leurs savoir-faire. Je les entends réfléchir et je peux intervenir tout de suite pour rectifier un raisonnement erroné si les autres membres du groupe ne le font pas.
- exercices en binômes : Les élèves doivent coopérer, mettre en commun leurs connaissances et leurs raisonnements. Ils doivent là encore argumenter, confronter leurs démarches, et éventuellement modifier leurs représentations si les arguments de leur binôme sont suffisamment convaincants.
- exercices interactifs sur ordinateur : Certains sites choisis permettent aux élèves d’accéder à des animations leur apportant des explications sur les erreurs commises. Ils savent donc immédiatement s’ils ont réussi ou non et pourquoi ils se sont trompés. Ils peuvent se corriger à loisir et mieux comprendre l’utilité de l’erreur. Le résultat instantané leur permet de gérer plus efficacement leur demande d’aide.
- exercices individuels sur le cahier du jour : Après avoir expérimenté, essayé, recommencé, ils sont prêts à laisser une trace plus durable de leur apprentissage. Les exercices sont une sorte de première évaluation formative. La correction permettra de lister les erreurs ou les représentations erronées qui subsistent pour prévoir la remédiation la plus efficace le lendemain.
- création : A la fin de la semaine, les élèves partagent avec d’autres classes via Twitter et leur blog MiniFlip les compétences acquises. Ils réalisent des capsules, des tutoriels, des affiches ou écrivent des tweets (souvent des exercices qu’ils inventent à destination d’autres classes et qu’ils sont chargés de corriger ensuite à réception des réponses).
Après trois ans d’expérimentation dans ma classe et de nombreux réajustements, je considère que ce fonctionnement me permet de différencier davantage le parcours d’apprentissage en fonction de mes élèves. La capsule reste la même, mais ce n’est que la partie la plus anecdotique du dispositif, même si c’est celle qui demande le plus de travail.
Les élèves les plus rapides bénéficient autant que les autres de mon temps et peuvent aller plus loin dans les notions étudiées. Les élèves les plus fragiles sont rassurés car ils arrivent en classe avec un premier bagage et savent de quoi on va parler. Ils disposent d’une méthodologie décrite pas à pas. Ils osent davantage essayer et sont moins découragés. Chacun peut suivre son propre parcours.
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